L’Aston Martin DB4 est présentée au London Motor Show de 1958. Carrossée par Touring, elle est motorisée par un superbe 6 cylindres en ligne de 3,7 litres à double arbre à cames développé pour la course signé Tadek Marek qui délivre environ 240 ch, malheureusement insuffisant pour en faire une voiture capable de rivaliser avec les meilleures sur la piste.
Rapidement, l’idée d’une variante de compétition de la berline sport DB4 germe dans la tête de John Wyer, alors dirigeant de l’écurie de course de la marque.

Conçu sous l’œil vigilant d’Harold Beech, un châssis de type plate-forme rigide remplace le cadre spatial multitubulaire de la DB2/4, ce dernier étant considéré comme incompatible avec la construction de carrosserie Superleggera de Touring qui utilisait sa propre structure tubulaire légère pour supporter les panneaux de carrosserie en alliage formés à la main. La suspension avant indépendante à bras oscillant de la DB2 / 4 a cédé la place à des triangles de longueur inégale tandis qu’à l’arrière, la DB4 arborait un essieu moteur situé par la tringlerie Watts au lieu de la tige Panhard de son prédécesseur.

La GT utilisait un moteur équipé d’une culasse à double bougie et de trois carburateurs Weber 45DCOE, et développait 302 ch à 6 000 tr/min, une augmentation utile par rapport aux 240 ch revendiqués par la voiture standard. La vitesse maximale dépassait les 245 km/h lors des tests avec un temps de 0 à 100 km/h en 6,1 secondes. La DB4GT a également été l’une des premières voitures à passer de l’arrêt à 100 mph, puis à freiner jusqu’à un arrêt net en moins de 20 secondes, un hommage, en partie, à ses freins Girling améliorés utilisés sur les voitures de course Aston Martin de l’époque. .

La voiture est certes plus compétitive, mais pas assez pour vaincre les Ferrari 250GT.
C’est alors Zagato qui est sollicité pour produire une auto à la carrosserie mieux profilée et avec un poids plus contenu. C’est chose faite avec la sublime DB4 GT Zagato et sa centaine de kilos en moins, mais ce ne sera pas suffisant ou peut-être trop tard pour vaincre les nouvelles Ferrari 250GT SWB plus légères et tout aussi puissantes.

C’est pourquoi le 76ème et ultime châssis DB4 GT (DB4/GT/0201/L) achevé à l’époque est envoyé en Italie, chez Bertone qui va en faire une GT des plus désirables. L’objectif est de concevoir une GT susceptible de gagner des concours d’élégance à défaut de vaincre sur la piste.

Le designer de cette unique DBGT n’est autre que Giorgetto Giugiaro, l’un des plus grands stylistes automobiles du XXème siècle, alors âgé de seulement 22 ans, qui réalisera quelques-uns des dessins les plus mémorables du carrossier italien avant de partir rejoindre la Carrozzeria Ghia.

Il dessine et conçoit une voiture à l’avant effilé, dans la ligne des phares et avec ses pare-chocs boomerang, précède de deux ans la Ferrari 250 GT Lusso de Pininfarina, mais l’arrière plus banal est moins abouti. Le profil, qui présente d’importants porte-à-faux avant et arrière, masque parfaitement l’empattement ramassé du châssis raccourci de la DB4 GT et l’élégant pavillon a fins montants est un trait typique des GT de Bertone, qui trouvera son apogée douze mois plus tard sur la fantastique 250 GT châssis court «Shark nose».

Si le moteur conserve ses caractéristiques d’origine et notamment ses trois Weber et son double allumage, tout le reste va être retravaillé par le designer. Il privilégie la luminosité et dessine un habitacle où le pavillon repose sur des montants d’une remarquable finesse. L’intérieur de la voiture est celui d’une grande GT où la notion de confort l’emporte sur la recherche d’un poids minimum. Les sièges sont larges et confortables, une poignée pour le passager est prévue devant la boîte à gants et le tableau de bord est redessiné pour laisser de la place à un panneau central sur lequel se trouvent 6 petits cadrans tournés vers le conducteur.
Comble du luxe pour cette GT, destinée à sa naissance pour la course, des vitres électriques remplacent les manivelles habituelles.
L’avant possède également ses propres codes. Les phares sont placés au bout des ailes et ne sont plus recouverts par un plexi. Même si la forme de la calandre reprend, de façon atténuée, celle de la DB4, sa forme rectangulaire lui est propre et lui donne un aspect plus moderne. La prise d’air, particulièrement importante sur la GT, se fond dans le design du capot.

Dès les premiers projets de Jet, la hauteur des flancs, imposée par celle du six-cylindres double arbre, est clairement une préoccupation de l’équipe de stylistes et il en résulte des bas de caisse de teinte plus claire permettant d’alléger le profil. L’habitacle est lui aussi transformé. Le grand volant bois avec son monogramme DB bleu et les compteurs Smiths à fond noir sont certes signés Aston Martin, mais la platine centrale style Facel avec ses six instruments tournés vers le conducteur, le dessus de planche de bord qui en épouse la forme et les garnitures molletonnés constituent autant de détails audacieux s’éloignant de la très traditionnelle DB4 de série.

Seuls les bas de caisse latéraux, avant et arrière sont en aluminium. Bertone avit fait fabriquer de l’outillage, ce qui laisse penser qu’il espérait produire une petite série.
Présentée au Salon de Genève enfévrier 1961, la Jet est éclipsée par la fabuleuse Jaguar Type E qui vole la vedette à tout le monde et monopolise la presse. La nouvelle voiture de Bertone se heurte aussi à une forte concurrence d’autres carrossiers : Zagato présente sa DB4 GTZ, Fissore une Fiat Multipla et Frua une Maserati 3500 GT.

La Jet prend la direction de Beyrouth après une seconde apparition publique au Salon de Turin, puis part aux États-Unis. Ignorée pendant longtemps, elle est retrouvée il y a une trentaine d’années par Victor Gauntlett, président d’Aston et collectionneur de voitures anciennes, qui la fait rapatrier à l’usine.

« La voiture était en triste état, » rappelle Riding-Felce. « Le moteur avait pris feu, un problème habituel avec les carburateurs Weber car le filtre à air peut se remplir d’essence et s’enflammer. Le capot était brûlé et la rouille avait attaqué la carrosserie en acier. »

Entièrement restaurée par les experts de Works Service, la voiture a posé quelques souci : « C’était un gros travail, car nous avons dû fabriquer de nouveau panneaux de portes et des pare-chocs neufs en cuivre,. Il était particulièrement difficile de les adapter à la carrosserie et d’obtenir les jeux corrects, mais nous voulions être aussi proches que possible de l’origine. Les instruments ont dû être refaits et nous avons passé du temps à rechercher en Italie les commandes manquantes. Il a fallu fabriquer un nouveau réservoir d’essence, qui trouve tout juste place dans le coffre sous la roue de secours. La Jet était très bien fabriquée, vraiment dans le but de rouler. Le style n’est pas très Aston, mais nous ne nous sommes jamais lassés de la contempler« .

Une fois terminée, la Jet prend part au circuit complet de concours d’élégance, à commencer par Pebble Beach où Weidmann obtient avec bonheur le premier prix de la catégorie carrossiers italiens. L’élégant coupé gris apparaît ensuite dans les plus grands concours des années 1990, récoltant des premiers prix de catégorie en 1991 au concours Louis Vuitton de Hurlingham, puis à Bagatelle l’année suivante. Rares sont les voitures effectuant une deuxième visite à Pebble Beach, mais la Jet y retourne en 1997 pour un hommage spécial à Aston Martin, avant de revenir à Villa d’Este par la route là où les autres voitures font le voyage sur un plateau…

Cet unique et superbe auto a été vendue près de 4 000 000 $ en 2013